Faire ses premiers pas chorégraphiques vers le jeune public
Claudine Colozzi

« Sans cette commande du Gymnase CDCN et du réseau LOOP, je ne me serais peut-être jamais aventuré vers le jeune public. » Chorégraphe après un parcours de danseur hip-hop, Amala Dianor crée des pièces depuis plus de douze ans. Imaginée à l’automne 2024, dans le cadre du cycle de commandes « Les Mouvements minuscules » qui a pour objectif d’encourager les chorégraphes à s’ouvrir à la petite enfance, sa pièce Coquilles représente un nouveau défi. Pour la concevoir, il a passé plusieurs jours en immersion dans des crèches pour « se reconnecter à l’univers des tout-petits ». Une expérience « très marquante » de sa carrière, pourtant bien installée.
À l’image d’Amala Dianor, le milieu chorégraphique s’ouvre de plus en plus au jeune public. Certes, le phénomène n’est pas nouveau – des chorégraphes comme Jean-Claude Gallotta, Thomas Lebrun ou José Montalvo ont eux aussi proposé des pièces à destination des plus jeunes, et ce dès les années 1990 pour ce dernier. Mais on constate que nombre d’artistes contribuent au développement de ce pan de la création en imaginant de nouvelles propositions.

Petit coup d’œil dans le rétro. En 2006, Le Gymnase Centre de Développement Chorégraphique National de Roubaix dans les Hauts-de-France crée Forever Young, premier festival de danse entièrement dédié au jeune public. Dix ans plus tard, la structure lance un programme de commande de pièces jeune public dans le cadre de la Belle Saison (2014-2016). Dans la continuité se met en place le réseau LOOP constitué de partenaires coproducteurs et diffuseurs impliqués et intéressés à co-construire un projet de création et de médiation autour de la danse jeune public. L’impulsion est donnée. « Une dynamique a vu le jour, reconnaît Lise Saladin, directrice déléguée de la Manufacture CDCN, à l’initiative du festival pour les moins de 15 ans Pouce et membre du réseau. De plus en plus de chorégraphes se sont lancés sur ce terrain sans faire de concession sur l’exigence de leurs propositions, ni déroger à leurs convictions artistiques. »
Cet état d’esprit a aussi sous-tendu la démarche de Marion Muzac. Créé en octobre 2022, Le Petit B est aussi né d’une commande dans le cadre du dispositif « Mouvements minuscules ». « L’enjeu était de taille et j’avais à cœur de ne pas céder à la facilité sous prétexte de m’adresser à des enfants très jeunes, évoque la chorégraphe. J’ai tenu à conserver les caractéristiques de mon écriture, abstraite et très contemporaine, et j’ai imaginé une proposition en lien avec la douceur et l’apaisement, autant pour les enfants que pour les adultes. »

Ce qui diffère peut-être, par rapport aux projets visant les adultes, c’est l’accompagnement que nécessite ce type de propositions. Ateliers de sensibilisation, activités parents-enfants… Avant chaque représentation, les interprètes du Petit B proposent un temps d’accueil. Un moment qui s’apparente à « un rituel de passage » ou « sas de décompression » avant de laisser spectateurs, grands et petits, découvrir le plateau et recevoir la proposition.
Créer pour le jeune public imposerait-il des codes particuliers ? Tous les professionnels interrogés soulignent la nécessité d’être attentif au temps, à l’espace, à l’écriture chorégraphique et au son. Le droit à l’erreur n’existe pas avec les plus petits. En revanche, tout est possible, pour peu qu’on n’oublie pas sa cible en route. « Il y a aujourd’hui une belle vitalité de la création chorégraphique pour l’enfance et la jeunesse », analyse Anne Sauvage, directrice de l’Atelier de Paris, qui a lancé le festival PULSE en 2022. « On observe des œuvres qui jouent avec d’autres champs artistiques, qui recherchent la proximité du public, qui appellent la participation des habitants ou qui s’emparent de questions de société et des enjeux qui sont, ou qui seront, déterminants pour ces jeunes spectateurs. »
Se débarrassant progressivement de son étiquette de « sous-genre », la danse jeune public demande davantage de travail aux chorégraphes. « J’ai eu besoin de temps afin de trouver le langage juste, évoque Amala Dianor. Mais finalement, en me faisant conteur, je suis parvenu à comprendre ce qui pourrait capter leur attention. »

Tous deux ex-interprètes du Ballet Preljocaj, Émilie Lalande et son compagnon Jean-Charles Jousni ont commencé à créer leurs premières pièces et monté une compagnie dédiée au jeune public en 2015. « J’ai ressenti très vite la nécessité de créer des moments de partage », explique la chorégraphe qui travaille sur les frontières entre le réel et la fiction en s’appuyant essentiellement sur l’utilisation détournée d’objets quotidiens. « En plus de stimuler l’imaginaire des enfants, le détournement questionne sur le sens caché de ce qui nous entoure et plus généralement sur le sens même de la vie. » Même si le pari reste audacieux pour une compagnie, s’adresser au jeune public se révèle « très gratifiant ».
L’autre bénéfice évoqué par les chorégraphes : le nombre de représentations. « Lorsqu’on connaît les chiffres de la diffusion d’une œuvre chorégraphique, qui ne dépasse pas en moyenne les trois dates, on est forcément surpris par les tournées générées par le jeune public », reconnaît Marion Muzac. Petit B franchira bientôt le cap des 350 représentations. La chorégraphe n’en revient toujours pas : « C’est un privilège incroyable que de pouvoir bonifier une pièce, de la voir grandir au fil des mois. »
Bien au-delà des nombreuses dates qui offrent une petite assise financière aux compagnies, ce qui lie ces chorégraphes c’est la possibilité d’offrir à des plus jeunes leur propre vision du monde. « En tant que diffuseurs, nous partageons avec eux l’envie et la responsabilité de construire des citoyennes et citoyens avisés et conscients », reconnaît Lise Saladin. N’est-ce pas finalement la plus belle des ambitions ?
Au milieu des années 1990, encore étudiante à l’École Supérieure de Journalisme de Lille, Claudine Colozzi effectue un stage à la revue Les Saisons de la danse où elle apprend à aiguiser son regard critique. Journaliste en presse magazine, formatrice, elle traite de sujets très variés, notamment autour de la thématique du handicap. Elle continue de nourrir sa curiosité inépuisable pour la danse en écrivant pour des sites comme Danses avec la plume ou L’œil d’Olivier. Elle est l’autrice d’ouvrages documentaires pour la jeunesse dont L’Encyclo de la danse (Gründ), Dans les coulisses de l’Opéra, La danse classique et Passion hip-hop (Nathan).