Andy De Groat, les temps retrouvés

Claudine Colozzi

Danseurs vêtus de rouge sautant, interprétant Red Notes de Andy de Groat

Grâce au travail du CCINP - andy de groat, l’œuvre de cette figure de la postmodern dance, disparu en 2019, continue d’être dansée. Avant d’être donnée à la MC93, Red Notes, pièce emblématique de 1977, a trouvé une nouvelle jeunesse à travers des élèves du Conservatoire de Nantes, accompagnés de huit anciens interprètes du chorégraphe.

Marcher, tourner, sauter, s’approprier un nouvel espace de danse… Mercredi 4 mai, les dix-sept élèves du Conservatoire de Nantes apprivoisent avec enthousiasme la profondeur de scène du Théâtre Graslin. Dans deux jours, ces filles et ces garçons danseront Red Notes d’Andy De Groat, un chorégraphe dont la plupart n’avaient jamais entendu parler quelques mois auparavant. L’initiative de réunir des jeunes danseurs âgés de 16 à 19 ans avec des professionnels ayant dansé cette pièce du vivant du chorégraphe revient à Viviane Serry, ancienne directrice du Conservatoire et présidente du CCINP - andy de groat.

Petit retour en arrière. En janvier 2019 disparaît le chorégraphe américain, figure de la postmodern dance. Associé au début de sa carrière à Bob Wilson, Andy De Groat a créé sa compagnie en 1973 à New York avant de venir s’installer en France en 1982, où il a mené le reste de sa carrière. Quatre mois après son décès, le Centre Chorégraphique International de Nulle Part (CCINP) – en référence au fait qu’Andy De Groat n’a jamais vraiment eu de lieu pérenne de création – naît, porté par un noyau dur d’anciens collaborateurs. Ces fidèles issus d’époques diverses, mus par l’envie de « faire connaître, transmettre, promouvoir son œuvre et perpétuer son travail », constituent alors un groupe de recherche pour développer ce projet de transmission et travailler autour des archives léguées par le chorégraphe au CND, où une riche exposition a permis de redécouvrir son œuvre.

La mission du CCINP n’est pas sans rappeler celle qui anima, par exemple, les interprètes de Dominique Bagouet après sa mort avec la création des Carnets Bagouet. En danse contemporaine, le répertoire d’un chorégraphe disparu est souvent porté par ses anciens danseurs – et dépend par conséquent des volontés et trajectoires des personnes concernées. Les œuvres des chorégraphes de la génération d’Andy De Groat étant très inégalement préservées, pour poursuivre ce travail, le CCINP entend « s’équiper de matériaux et d’outils pédagogiques utiles à la reprise des pièces du répertoire ».

“Red notes alterne des passages très écrits et d’autres basés sur des consignes d’improvisation, où chaque interprète doit conquérir son espace de liberté tout en restant à l’écoute du reste du groupe.”

Depuis le décès d’Andy De Groat, Fan Dance, une courte pièce créée en 1978 et également connue sous le nom de La Danse des éventails, a été régulièrement transmise à des groupes d’amateurs ou de jeunes professionnels. Red Notes, née un an plus tôt et qui a inspiré au chorégraphe le nom de sa compagnie, est le premier grand format remonté par le collège artistique du CCINP. « Nous l’avons choisie car nous avons axé notre travail sur les années américaines d’Andy, explique Martin Barré, qui a rencontré le chorégraphe en 2002 lors de la reprise de Red Notes à l’Opéra de Rouen et ne l’a plus quitté. Et puis cette pièce pour de multiples raisons a marqué durablement le parcours de certains d‘entre nous. »

Ce travail de réactivation engagé en 2020 s’est articulé autour de différents axes : fouiller les archives papier, visionner des vidéos de la période dite américaine, celles de ses débuts de chorégraphe, interroger les mémoires, les « archives vivantes ». « Dialoguer avec des danseurs américains présents à la création constitue un témoignage précieux », confirme Stéphanie Bargues, elle aussi impliquée dans ce travail de transmission. Le groupe de recherche s’est nourri de différentes versions de Red Notes : celle de la création avec des étudiants des Beaux-Arts à Halifax, les versions développées ensuite avec huit danseurs de la compagnie américaine mais aussi les deux dernières reprises, qui mélangeaient amateurs et professionnels à l’Opéra de Rouen et Odyssud à Blagnac en 2002.

Les jeunes du Conservatoire de Nantes ont découvert le travail d’Andy De Groat à travers les interventions des deux anciens interprètes. « Nous leur avons dit qu’ils participaient d’une certaine manière à une expérience grandeur nature de transmission d'une pièce, évoque Martin Barré. Nous avons insisté sur le fait que nous étions très preneurs de leurs retours. » Le travail s’est fait par tableaux, sans vraiment de fil conducteur au départ, selon la manière dont Andy De Groat lui-même procédait. « La pièce prend forme tardivement, ce qui permet de ne pas mettre de psychologie dedans », poursuit Martin Barré. Autre point important : ne pas avoir recours à la vidéo dans l’appropriation de la pièce. « Ce n’est pas simple avec une génération complètement connectée. Mais il nous apparaissait très important de laisser leur imaginaire travailler. De toute façon, aucune vidéo n’est accessible en ligne ! » sourit Stéphanie Bargues.

- Danseurs interprétant Fan Dance d’Andy De Groat devant l’Opéra de Nantes
- Vue rapprochée de deux danseurs interprétant Fan Dance d’Andy De Groat devant l’Opéra de Nantes
- Danseurs vêtus de rouge, interprétant Fan Dance d’Andy De Groat sur la scène l’Opéra de Nantes
- Danseur face à une lampe interprétant Red Notes d’Andy De Groat sur la scène de l’Opéra de Nantes
- Danseurs interprétant Red Notes d’Andy De Groat sur la scène de l’Opéra de Nantes

Transmettre cette chorégraphie à de jeunes artistes en devenir constitue un pari ambitieux pour le CCINP. Ce qui rend Red Notes si emblématique, ce sont les comptes. Sur la musique de Philip Glass, les danseurs écrivent dans l’espace une chorégraphie exigeante et très calibrée qui laisse malgré tout une place à la liberté de chacun. Stéphanie et Martin, avec six autres anciens interprètes d’Andy De Groat, seront également sur scène, mais se sont « astreints au début à ne pas montrer, selon Stéphanie Bargues. Et aussi à bien faire la part des choses entre les moments où l'on transmet et les moments où l'on est au plateau avec eux en tant qu'interprète ».

“Ce qui rend Red Notes si emblématique, ce sont les comptes. Sur la musique de Philip Glass, les danseurs écrivent dans l’espace une chorégraphie exigeante et très calibrée qui laisse malgré tout une place à la liberté de chacun.”

Si de nombreuses consignes ont été laissées par le chorégraphe, les physicalités de chacun doivent aussi s’exprimer. Red notes alterne des passages très écrits – les WALK, des marches très identifiables qui reviennent quatre fois dans la pièce – et d’autres basés sur des consignes d’improvisation, où chaque interprète doit conquérir son espace de liberté tout en restant à l’écoute du reste du groupe. Au-delà de la pièce, c’est un peu de la confiance que le chorégraphe leur a donné que Stéphanie Bargues et Martin Barré aimeraient apporter à cette jeune génération.

Et après ? Plusieurs projets sont à l’étude au sein du CCINP, dont la reprise d’une autre pièce de la période américaine et un travail aux États-Unis, en parallèle de la réflexion en cours sur la diffusion et de préservation de la mémoire du chorégraphe. Andy De Groat est actuellement présent dans deux thématiques du Programme Art Danse, devenu un enseignement de spécialité du baccalauréat. Un signal positif pour la préservation d’une œuvre qui a inspirée nombre de chorégraphes.

Photo : © Jean-Marie Jagu

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