Matières dansantes : Ola Maciejewska

À l'occasion d'une résidence au Watermill Center, centre d'art fondé par Robert Wilson dans l'état de New York, la danseuse et chorégraphe Ola Maciejewska a commencé à imaginer son prochain projet, une performance-installation prévue pour 2023. La photographe Lindsay Morris l'a suivie à cette occasion  un travail mis en regard ici avec la lecture personnelle de la chercheuse en danse Adeline Chevrier-Bosseau.

Regard de chercheuse : Adeline Chevrier-Bosseau, Sorbonne Université – IUF

À la fin des années 1880, Loïe Fuller se produit sur scène dans ce que l’on appelle alors des skirt dances, où la danseuse joue avec sa longue jupe pour dévoiler ses chevilles, jupons et autres sous-vêtements victoriens, pour le plus grand plaisir du public masculin. C’est avec la pièce Quack, M.D. en 1891 que Fuller, qui joue une patiente hypnotisée, commence à se détourner de l’usage affriolant de ce vêtement pour aller vers l’abstraction qui deviendra plus tard sa marque de fabrique. L’objet, la jupe, est soustrait au contexte érotique ; de marqueur de la féminité il se mue en objet abstrait, en « construction dansée », selon les termes de Simone Forti qu’aime citer la chorégraphe et danseuse Ola Maciejewska.

Cette dernière explore la relation entre le corps et l’objet, entre le corps et la matière dansante dans ses deux créations inspirées par Loïe Fuller. Maciejewska réinterprète la Danse serpentine de Fuller tantôt en solo (Loïe Fuller : Research), tantôt en trio (Bombyx Mori), en mettant l’accent sur l’aspect plastique du travail de la pionnière de la danse moderne. Dans le sillage de Fuller, c’est la recherche qui fascine Maciejewska – une recherche sur les possibilités infinies de l’alliance entre corps et objets, pour créer des formes inédites et réinventer le corps dansant.

À l’époque où elle se produit à Paris, aux Folies Bergère, Loïe Fuller expérimente avec la lumière, invente de nouveaux éclairages scéniques, se rend chez les Curie et Edison et s’inspire de leurs travaux pour créer des danses qui jouent avec la phosphorescence. En prenant le contre-pied chromatique du costume blanc – comme une toile vierge – de Fuller, Maciejewska déploie des sculptures dansantes noires dans Bombyx Mori, qui rappellent les Wall Hangings du sculpteur Robert Morris ; Morris y joue avec la théâtralité de la matière et met en scène le processus de transformation/dégradation de cette dernière, en jouant des effets de la gravité sur les plis inexorablement attirés vers le sol.

Le travail de Maciejewska expose des corps abstraits, soustraits au figuratif, en constante métamorphose : des corps qui dialoguent avec la matière, avec d’autres corps, sur scène mais également avec des corps absents, avec l’histoire et l’héritage légués par d’autres corps, comme ceux de Fuller ou de Simone Forti, à qui elle a consacré la pièce Figury (przestrzenne) et qui inspire sa nouvelle création, prévue pour 2023.

Les images de la résidence de Maciejewska au Watermill Center témoignent de ce travail dans une installation abstraite qui revêt presque des accents baroques, tant les plis des longues robes noires en constante métamorphose rendent le regard captif et fascinent. Dans la définition qu’il en donne dans le premier chapitre de son ouvrage Le Pli : Leibniz et le Baroque, Deleuze explique que « le Baroque ne renvoie pas à une essence, mais plutôt à une fonction opératoire, à un trait. Il ne cesse de faire des plis. Il n’invente pas la chose : il a tous les plis venus d’Orient, les plis grecs, romains, gothiques, classiques… Mais il courbe et recourbe les plis, les pousse à l’infini, pli sur pli, pli selon pli. Le trait du Baroque, c’est le pli qui va à l’infini ». L’écriture chorégraphique de Maciejewska, dans sa mise en abyme historique et son travail de la matière, s’inscrit dans cette « fonction opératoire » : c’est le processus de transformation, le pli et le repli, la performance des corps et des textures, qui importent.

Infos
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Photos : Ola Maciejewska, © Lindsay Morris - The Watermill Center

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