Une « Danse liturgique » à l’orée de la guerre
Hélène Caillet & Laurent Sebillotte
Les archives de la danseuse et chorégraphe Andrée Pragane (1910-1978) – qui fut d’abord journaliste puis écrivaine – contiennent parmi d’autres documents importants deux albums consacrés à ses activités chorégraphiques et à celles de son mentor et ami, le chorégraphe juif-allemand Heinz Finkel.
Né en 1908, Finkel s’est réfugié en France en 1933 (à la même époque que Jean Weidt) pour fuir la montée du nazisme dans son pays d’origine, s’installant dans un premier temps chez Doussia Bereska, qui dirige alors l’école Laban de Paris. En 1935 il anime une série de conférences dansées sur les techniques de la danse aux Archives Internationales de la Danse, et y présente notamment une chorégraphie abstraite intitulée Construction dans laquelle les danseurs sont vêtus de costumes futuristes évoquant des « tuyaux de poêle » à Andrée Pragane. Les deux artistes se rencontrent dans ces années-là, se lient d’amitié (comme en témoigne un ensemble conséquent de lettres adressées par le chorégraphe à la danseuse tout au long de la Seconde Guerre mondiale) et montent sur scène ensemble à plusieurs reprises.
Condensés précieux de leurs carrières, ces deux albums regroupent des photographies, des programmes ou des articles de presse, comme sur cette page consacrée à la Danse liturgique, une pièce chorégraphiée par Finkel et dansée sur une musique également composée par ses soins.
Au centre de la photo, on reconnaît Andrée Pragane (la jeune femme blonde) et Heinz Finkel (à sa gauche), inclinés à l’unisson. À leurs côtés, on peut identifier d’autres membres du groupe : Willy Servin, Ellen Kuffer, et probablement Yarmila Mentzlova. La distribution indiquée sur l’extrait de programme collé sous la photographie mentionne d’autres artistes, le groupe ayant sans doute pris diverses formes. Il s’agit ce soir-là, le 11 juillet 1939, de l’une des dernières représentations du groupe : quelques jours plus tard en effet, la guerre oblige Finkel à se cacher pour plusieurs années. Il mourra accidentellement le 24 juin 1945, quelques semaines après l’armistice.
À travers ses archives, Andrée Pragane laisse un témoignage précieux de la vie de beaucoup de ces artistes méconnus, forcés de multiplier les activités pour vivre de leur art en ces temps sinistres de la guerre et de l’Occupation. Dans son cas, elle donnera à la fois des cours de claquettes et de danses de caractère, montera sur scène seule ou avec ses élèves, participera à des galas donnés au profit des prisonniers de guerre ou fera la tournée des sanatoriums franciliens pour apporter un peu de réconfort à des spectateurs malades ou blessés, à l’occasion de concerts-spectacles.
© CN D - Département Patrimoine, audiovisuel et éditions.
Document d’archives
Fonds Andrée Pragane
1890-1972
Centre national de la danse - Département Patrimoine, audiovisuel et éditions
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